A l’aide de la réalité augmentée, l’application Ici-Avant, développée par Christine Aubry, ingénieure de recherche à Lille III, et Arnaud Waels, gérant de la société Dévocité, permet de découvrir les villes de Lille, Roubaix et Tourcoing d’il y a un siècle.

Le 8 février 2021, Christine Aubry nous présentait l’Application « Ici-Avant, voyage dans le temps », objet de science et de médiation, dont elle est responsable avec Arnaud Waels, gérant de la société Dévocité et développeur de l’application. Dévocité est une société spécialisé dans le développement d’outils multimédia et interactif à destination du grand public, dans les domaines de la culture et de la citoyenneté.

Christine Aubry est ingénieure de recherche à l’université de Lille 3, plus particulièrement au laboratoire IRHIS, l’Institut de recherches historiques du Septentrion, où elle est responsable pôle nouvelles technologies. Titulaire d’un DEA en sciences de l’antiquité, elle a également suivi un parcours en ingénierie de recherche et est aujourd’hui membre de comités de rédaction d’institutions scientifiques et professionnelles.

L’application Ici-Avant s’inscrit dans les humanités numériques, mais se présente également comme un produit touristique innovant : comment s’est développée l’application et quels sont les enjeux qui l’entourent ?

La naissance de l’application

Ayant déjà collaboré en 2012, autour d’un premier projet intitulé « Le vase qui parle » et réuni par l’intérêt pour l’histoire, l’histoire de l’art, Christine Aubry et Arnaud Waels mettent en place le tout premier prototype de l’application en 2016, qui a pour sujet la découverte de Montmartre.

Le projet s’accélère, et s’oriente vers la période 1914 – 1918, avec le début de la commémoration de la Grande Guerre, lors de laquelle de nombreux appels à projets en faveur de la valorisation du patrimoine ont été lancés. C’est un levier qui a permis, entre autres, de répondre à la question du financement, qui reste généralement complexe dans ce domaine. La première étape du projet est en effet celle du financement. De 2016 à 2020, 9 candidatures on été déposées pour des appels à projets, dont 3 se sont révélées concluantes.

Ensuite, afin de répondre à ces appels à projets, il s’agit de faire une proposition construite, c’est-à-dire de définir le concept et le public visé.

La projet a pour but de vulgariser la recherche historique à destination, d’abords, des habitants de la ville, autrement dit de l’agglomération lilloise et son million d’habitant, qui représentent le cœur de cible. Ensuite, il s’agit de toucher les touristes en général, français ou étrangers, attirés par l’offre touristique de Lille, Roubaix et Tourcoing. Plus précisément, l’application s’adresse aux visiteurs qui se déplacent pour le tourisme de mémoire. D’autres publics ont été envisagés, comme par exemple le public scolaire, mais il demande plus d’implication et de temps pour être touché.

Le projet consiste à proposer une expérience sensorielle de voyage dans le temps, en s’appuyant sur une application disponible sur iPhone et Androïd (directement sur leurs applications ou par QR code) et la réalité augmentée, c’est-à-dire la superposition à la réalité d’autres éléments photos, vidéos ou encore sonores en temps réel. L’application propose comme une fenêtre ouverte sur le passé de certains lieux. L’application n’a pas pour but de venir en concurrence avec le travail des guides touristiques, mais peut autrement venir en appuis aux visites, comme support d’illustration.

Ici, l’image est donc au cœur de l’expérience proposée : l’application se base sur des images d’archives géolocalisées, en deux dimensions. Ces images sont des photographies ou des cartes postales, qui sont ensuite superposées à la réalité à travers l’application. Il faut donc, pour cela, que l’utilisateur se positionne comme le photographe de l’époque. (les photos aériennes ou prises à partir d’autres endroits inaccessibles sont donc exclues).

L’objectif ici est de créer une accroche pour proposer, ensuite, des explications et un discours scientifique sur ce qui est donné à voir. Des descriptions et un commentaire sont proposés pour chaque photographie. L’utilisateur a également accès à davantage de photographies, des témoignages écrits ou oraux, des journaux, des plans ou encore des cartes postales, qui rend l’ensemble plus dynamique. Les sources sont systématiquement indiquées. Les notices sont traduites en anglais pour l’instant.

L’utilisateur peut choisir un lieu particulier, une ville, mais également des parcours de visite. L’interface se présente d’abord sous la forme d’une carte interactive, où sont répertoriées les différentes photos. En cliquant sur les photos, il peut avoir accès aux informations supplémentaires.

Une application en constant développement

L’application a principalement été financée par la DRAC des Hauts-de-France (31%), l’IRHIS (35%), la MESHS (9%), ISiteULLNE à 26%, et enfin, l’entreprise Dévocité. Par ailleurs, et suite à sa candidature, l’application a reçu en 2018 la labélisation de la Mission du Centenaire. Cela montre que l’application répond à une demande et est pertinente.

L’objectif a ensuite été de continuer à développer le contenu de l’application. Pour cela, la première étape a été de réunir des partenaires, notamment dans le but de rassembler davantage de documentation, et plus particulièrement des sources iconographiques. L’utilisation de photographies nécessite de négocier des droits à l’image. Ces droits ont jusqu’ici principalement cédé par accord verbal, il s’agit donc désormais de faire signer des conventions, autrement dit de matérialiser et de pérenniser ces accords.

La seconde étape a été de continuer le travail de recherche. Celui-ci comporte notamment un important travail d’archive, qui s’est basé sur le développement d’une base de données. Le principal enjeu reste ici de pouvoir traiter et d’organiser une grande quantité d’information. Le projet, qui était d’abord centré sur la période de la Grande Guerre, de 1914 à 1918, s’étend aujourd’hui de 1870 à nos jours. La sélection des images s’opère selon divers critères, géographiques, temporels, thématique ou même parfois pour l’originalité d’une image ou d’une information. La création des notices demande également un important travail de recherche.

L’entretient de l’application passe aussi par le développement technique. Le travail de maintenance est essentiel. Il était également nécessaire de former l’équipe, notamment à l’ajout de contenu. Le site internet Pebblo, créé par Dévocité, permet de localiser les photographies et les bâtiments photographiés, ce qui évite d’avoir à se déplacer. Cela signifie qu’il faut géolocaliser deux endroits : celui d’où la photographie a été faite, et celui du sujet de la photographie. Il permet également d’accéder à toutes les informations nécessaires concernant les photographies ajoutées à l’application.

Il est nécessaire ensuite de faire la promotion de l’application. L’application concerne Lille, mais également Roubaix et Tourcoing, qui dépendent toutes trois de la Métropole Européenne Lilloise, qui a le monopole du développement du tourisme, et soutient nécessaire pour les candidatures à certains appels à projet. Le projet a obtenu un important soutien de la Métropole Européenne Lilloise, à travers les divers acteurs du tourisme et notamment les offices du tourisme, et une aide à la communication envers les touristes, mais également les habitants. Cela a notamment abouti à la création de flyers, d’affiches et de kakemonos. La promotion passe également par la présentation du projet aux professionnels comme au grand public, ce qui passe par la tenue de stands lors d’événements, des interviews, des publications, ou des expositions par exemple. La présentation de l’application au Salon Innovatives-CNRS a notamment abouti à l’extension de l’application à la présentation du Grand Palais et de la Foire commerciale internationale de Lille.

Nouvelles perspectives

Finalement, aujourd’hui, il s’agit de continuer à faire vivre le projet, de trouver de nouvelles sources de financement, de faire face à la crise sanitaire actuelle et à la baisse drastique du tourisme. Plusieurs pistes sont envisagées afin de continuer à développer le projet.

Premièrement, d’autres endroits pourraient être valorisés. D’autres villes sont intéressées, notamment au sein de la Métropole Européenne Lilloise, mais également dans les territoires ruraux ou sur des circuits touristiques préexistants. Villeneuve d’Ascq est, par exemple, particulièrement intéressée par le projet. Deuxièmement, l’application pourrait s’adapter à des situations insolites : elle pourrait par exemple être utilisée dans le tramway, en voiture, dans les bus de touristes ou dans les pousse-pousse de la ville. Ensuite, d’autres thématiques pourraient être envisagées à l’avenir, comme par exemple à Lille, sur l’histoire du Quartier Saint-Sauveur, ou sur les bâtiments aujourd’hui disparus de la ville davantage axée sur l’archéologie, avec un parcours « Lille sous les pavés ». Le contenu pourrait être enrichi de passages d’ouvrages ou des lettres de soldats par exemple. Il s’agit également de continuer la mise en place de la traduction en anglais de l’application et intégrer d’autres langues, notamment en néerlandais et en allemand. La mise en place de campagnes de communications sur Facebook et Instagram est envisagée.

Par ailleurs, certains documents pouvant être intéressants pour répondre aux objectifs de l’application ne sont pas ajoutés pour des raisons techniques : la vidéo, par exemple, pourrait prendre trop de place et utiliser beaucoup de batterie, ce qui pourrait gêner les utilisateurs. Ainsi, le développement d’un site permettrait de rendre accessible, tout en ajoutant davantage d’archives, notamment les photos n’entrant pas dans les critères de l’application et, éventuellement, à terme, devenir un espace participatif et collaboratif, avec un espace commentaire notamment.

L’enjeu actuel est de continuer à trouver des financements afin de permettre l’entretient de l’application, mais également de nouvelles pistes pour faire évoluer le contenu. Si les moyens semblent difficiles à trouver, les possibilités sont très vastes.

Propos recueillis par Juliette Pokorny (Patnum 19 – 21)

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