À tous ses enfants…

Nous croisons tous les jours des monuments aux morts, sans même plus y faire attention, alors que chacun a une histoire unique. En 2013, pour s’y pencher plus scientifiquement, une équipe de chercheurs de l’université de Lille décide de recenser tous ces ouvrages.
Dans le cadre des rencontres professionnelles, Martine Aubry, ingénieur de recherche à l’université de Lille, est venue présenter la base de données sur les monuments aux morts qu’elle a créée. Apparus après la guerre de 1870 – 1871, les monuments aux morts ont été élevés pour une grande majorité à la suite de la Première Guerre mondiale. Sur la plupart, les noms des « morts pour la France » engagés dans des conflits postérieurs ont été progressivement ajoutés. Ces monuments sont de nos jours souvent méconnus. Ils demeurent pourtant à plusieurs titres des témoins de l’histoire de notre pays et plus précisément de l’histoire de chaque commune de France : les noms gravés traduisent le poids des guerres sur la vie locale quand ils ne sont pas aujourd’hui la seule trace de certaines familles. Leur emplacement, leurs dimensions et leur ornementation sont également très variés et constituent une vraie richesse en eux-mêmes. Si beaucoup de recherches ont été réalisées sur les noms présents sur nos monuments aux morts, il n’existait pas, avant cette base, de fonds précis sur les monuments et leurs caractéristiques.

L’histoire de la base de données

L’idée de la base de données commence en 2009 lorsque Matthieu De Oliveira, enseignant à l’université de Lille, regroupe les travaux de recherches de ses étudiants de licence sur les monuments aux morts de leur village. Il met ces fiches en parallèle d’une collection de cartes postales de monuments aux morts rassemblée par un autre enseignant. Une équipe de chercheurs est alors montée pour exploiter ces documents. Si certains enseignants souhaitaient prioritairement écrire un ouvrage, il est finalement décider de créer une base de données sur ces monuments aux morts, ce qui ne figeaient pas les recherches à un instant précis. L’avantage d’une base de données est qu’elle peut évoluer à la suite de découverte de nouvelles informations.

La première version de la base de données sort le 25 novembre 2011. L’équipe de chercheurs organise également une tournée de promotion auprès d’autres enseignants et d’associations pour présenter le travail que l’équipe a effectué. Le projet gagne rapidement en popularité et en 2013 la mission du centenaire de la Première Guerre mondiale est fortement intéressée par la base. Avec le financement de la mission, l’équipe de la base a étendu son rayon de recherche et a dépassé les frontières du Nord-Pas-De-Calais. Cela a également permis d’ouvrir le projet au grand public.

En 2014, la base engage un partenariat avec l’opération « Rencontres d’Arles » qui souhaitait également faire une base de données monuments aux morts. A l’époque, les « Rencontres d’Arles » organisaient régulièrement de grandes expositions, ce qui a donné un gros coup de projecteur sur le travail déjà fait par la base. À la suite de cela, plus de 5000 photos ont été déposées sur le site en ligne, puisque n’importe qui peut inscrire le monument aux morts de son village dans la base.

En 2016, la mission propose d’organiser un évènement à Paris, avec la Réunion des Monuments Historiques Nationaux. Pour cet évènement, l’équipe de la base a réalisé une exposition au Panthéon ainsi qu’un ouvrage intitulé « 36000 cicatrices ». Il y ensuite a eu un travail de partenariat avec le département du Rhône et la ville de Lyon pour concevoir une exposition et un ouvrage consacré au département du Rhône.

En 2018, la base s’ouvre avec la possibilité de signaler des monuments du monde entier. Aujourd’hui, la base est devenue la base référence pour la guerre 1870 – 71, ce qui a permis d’attirer l’attention du ministère des armées ou du Souvenir Français avec qui ils ont travaillées. La base continue encore de grandir avec un vingtaine de dépôts par jour.

Le fonctionnement du site

La particularité de la base de données est qu’elle est participative. Si l’équipe de chercheurs a commencé à enregistrer les monuments de la région Nord-Pas-de-Calais, c’est aujourd’hui en majorité les utilisateurs du site, souvent des passionnés d’histoire ou des photographes, qui alimentent la base de données, sous le contrôle évident des administrateurs du site qui valident chaque ajout en amont de sa publication.

Sur la page d’accueil du site, nous trouvons le nombre total de fiches inscrites dans la base de données ainsi que les six dernières entrées. Il y a d’autres possibilités comme le twitter, les actualités ainsi qu’une carte. Il y a également d’autres onglets sur le site :

  • L’onglet « monument », qui permet de rechercher simplement n’importe quel monument.
  • L’onglet « commune », où l’on trouve des fiches communes, qui donnent diverses informations sur celle-ci, les décorations que la ville a reçues, l’histoire de la ville pendant les guerres ainsi qu’une liste des monuments que l’on peut y trouver.
  • L’onglet « auteur », où sont classés les différents artistes en fonction de leur métier avec la possibilité de recherche par nom. Des fiches auteur ont également été créées avec une bibliographie et une liste des œuvres. Il y a également un trombinoscope des différentes signatures de l’artiste.
  • L’onglet « dépôt », où les utilisateurs peuvent rentrer des informations plus ou moins précises à propos du monument qu’ils veulent inscrire dans la base. C’est ensuite à l’équipe de modération de valider le dépôt. Un outil pratique de ce formulaire est l’intégration de Google Maps et Street View pour pouvoir localiser parfaitement le monument.
  • Un blog est également lié à la base où l’on trouve différentes informations la concernant avec des points de mises à jour sur les documents par exemple, des brèves sur des moments d’histoire, l’actualité de la base… Il y a enfin les « Point Sur… ». On y retrouve une liste de chaque département avec le nombre de fiches existants pour ce département et le nombre de monuments qui ne sont pas encore inscrits sur la base, avec un lien vers une liste donnant le nom de chaque commune.

Pour chaque monument, une fiche explicative a été conçue. On y trouve des photographies du monument, une description de celui-ci, la localisation précisément décrite, les inscriptions présentes sur le monument (avec photographies évidemment), la liste des noms, les auteurs, des sources ainsi qu’une ligne de vie du monument où son historique est détaillé.

En effet, chaque monument est différent. L’une des formes les plus présente est l’obélisque. On la retrouve principalement dans les monuments communaux, placés souvent sur la place principale du village, près de la mairie ou l’église ou dans le cimetière. Sur les monuments plus imposants, il n’est pas rare de retrouver un poilu, dont plusieurs modèles sont produits en série. La statue la plus courante, érigée à plus de 900 exemplaires, serait Le Poilu victorieux d’Eugène Bénet ; d’autres, comme le Poilu au repos d’Étienne Camus, sont également édifiées à plusieurs centaines d’exemplaires. Les ornements sont très variés selon les monuments. On peut trouver des couronnes de feuilles de laurier ou de feuilles de chêne ; la branche d’olivier, symbole de paix ; le coq ; un casque de soldat ; une croix de guerre… Il est donc très important pour les utilisateurs de détailler précisément le monument qu’ils inscrivent. La base regroupe également les plaques commémoratives, la plupart du temps placées dans d’autres lieux fréquentés par les victimes comme les écoles, les églises, les mairies, les lieux de travail, les lieux où elles succombèrent.

La plateforme est totalement collaborative. Ce sont donc les utilisateurs du site qui inscrivent les monuments de chez eux, un peu comme sur Wikipédia. Un utilisateur peut également compléter les informations d’un monument déjà présent dans la base. Il y a aujourd’hui près de 5 000 auteurs qui ont inscrit 43 000 monuments aux morts dans la base. Pour pouvoir inscrire un monument, il faut remplir un formulaire, présent dans l’onglet dépôt, qui demande plusieurs informations techniques à propos du monument comme sa localisation, les commémorations, une description, les matériaux, les inscriptions, les auteurs, l’inauguration, une bibliographie… qui a été établi lors de la naissance du projet par l’équipe à l’origine du projet.

Si la base de données est à tort souvent associée à la Première Guerre Mondiale, les monuments aux morts de tous les conflits impliquant la France y sont présents et on peut y trouver des monuments commémorant les morts de la guerre de 1870 comme ceux morts plus récemment en opérations extérieures. Nous l’avons d’ailleurs évoqué plus tôt, cette base est devenue une référence pour la guerre franco-prussienne. A travers cette base de données, nous nous rendons compte qu’il existe un nombre très important de monument aux morts de taille et de forme variées. D’une petite sélection de monuments situés dans la région lilloise, la base de données s’est en quelques années exportée à travers tout l’hexagone, jusqu’à être la base d’une exposition au Panthéon. Elle dépasse aujourd’hui les frontières françaises et même les frontières européennes pour atteindre tous les continents du globe avec 43 117 monuments recensés à ce jour.

Bibliographie
– Martine Aubry et Matthieu de Oliveira, « Une base de données sur les monuments aux morts : histoire concrète et valorisation numérique », In Situ [En ligne], 25 | 2014, mis en ligne le 30 janvier 2015, consulté le 04 septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/insitu/11551
– Martine Aubry. La base Monuments aux morts et son aspect collaboratif. Dans, La Gazette des archives, n°232, 2013 – 4. Mutualiser, coopérer, partager : des enjeux pour les archives communales et intercommunales. pp. 197 – 211.

Julien Bonnet, Master 1, promotion 2020 – 2021, 7 septembre 2021

Autres actualités